Mon grand-père maternel, Louis Niguet, fut dans les premières années du XX° siècle le secrétaire particulier de M. Péchiney, lorsque ce chimiste, inventeur et industriel de l’aluminium, se retira à Hyères où il avait acheté carrément toute une colline : c’est là, dans ce paradis, que ma mère est née. Ce grand-père fut un “homme d’affaires” – je me souviens, bien plus tard, dans ma petite enfance, chaque matin il allait à la Banque des France serrer des mains et s’informer des cours de la bourse, ça m’impressionnait beaucoup ; Internet n’existait pas encore.
Ma mère est du Sud. Cette Marie-Jeanne que l’on surnomma toujours “Rijane”, quand elle était petite M. Péchiney lui parlait en anglais et en provençal. Ensuite, elle continua à parler provençal – ce fut en vérité ma langue maternelle, je ne suis pas français -, à fréquenter les gens du Félibrige, et surtout la Camargue, dans les années 1920, les gens de taureaux, autour du marquis Folco de Baroncelli, du poète Joseph d’Arbaud, l’auteur de La Bête du Vaccarès, et souvent elle s’habillait, plus exactement se “coiffait”, en Arlésienne : on dirait une histoire inventée et trop extraordinaire ; comment veut-on que je sois bien normal ?
Mon père, lui, est du Nord. Normand. Il fit, avec Sartre et Pompidou, l’Ecole Normale Supérieure, passa l’agrégation de lettres – jusque-là rien d’extraordinaire – puis devint archéologue, rencontra ma mère en découvrant le Sud, mariage de la latine et du viking. Ils allèrent à Athènes, à l’Ecole Française Archéologique, fouillèrent à Délos. J’aurais pu naître à Délos, Poséidon m’en voulut de cette négligence : chaque fois, plus tard, que j’ai désiré me rendre sur cette île, le vent, le meltem, m’en empêcha ; comment veut-on que je sois bien normal ?
Jean-François Marie Donat Maximin Paul – on ne risque pas de me perdre – Coupry est né à Hyères en juillet 1947. Mes grands parents paternels s’y étaient installés, dans le même immeuble, la “Tour Jeanne”, que mes grands parents maternels, tout était parfait, je fus un enfant unique – un petit frère est mort après moi ; bien sûr, docteur, c’est moi qui l’ai tué, pour demeurer unique…
Mais, en 1948, ce fut l’exil : mon père, ma mère et moi on déménagea à Bordeaux, le professeur Jacques Coupry y étant nommé maître de conférence d’Histoire ancienne à la faculté. Je suis un fils d’intellectuels, issu de la poésie provençale, de la tauromachie et de l’archéologie. J’ai passé ma jeunesse sur des champs de fouilles ou parmi les gardians de Camargue ; comment veut-on que je sois bien normal ?
Cet “exil” sans doute m’a blessé : depuis, j’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, dans des lieux et des ambiances différents, avec plein de sentiers qui bifurquent, chaque fois dans un autre paysage, avec multiples visages, comme si chaque fois je mourais et renaissais, une certaine cohérence à travers divers livres demeurant le seul lien entre ces étapes…