Je fus élevé – au sommet de quoi ? – chez les Jésuites, au collège Saint-Joseph de Tivoli, à Bordeaux. Mais, pas plus que je ne suis français, je ne me sens bordelais : à peine deux ou trois jours de vacances, sans parler des “grandes”, et nous partions, mes parents et moi, vers le “vrai” Sud, je veux dire le Sud-Est, vers les Saintes-Maries-de-la-Mer… Et vers Hyères, où mes grands parents mouraient les uns après les autres – adieu le paradis des premiers moments ! – et où mon père, bien sûr, fouillait, ayant découvert une petite ville grecque, Olbia, qui devint mon terrain de jeu et d’amour : je nettoyais les tessons, et parfois des squelettes dont je rangeais les os dans des cartons de lessive. A cinq ans, j’avais vu ma première corrida ; et devenais déjà un spécialiste de la chose, j’exagère mais pas trop. Nous allions tous les étés en Italie, pour des congrès scientifiques ; je connus Rome avant Paris ; il n’est pas impossible que j’aie été déjà insupportable et prétentieux. J’aimais le cirque, et crus en devenir, également, spécialiste. J’avais un Guignol – je l’ai toujours devant moi, écrivant ces lignes, mon père y avait peint un décor de rue, je le regarde toujours -, et j’y interprétais, les doigts dans les personnages, des pièces que j’écrivais ; inutile de dire que j’étais premier en…. “composition française” ! Chez les Jésuites, je fis du théâtre – car c’est la seule vérité qui, au fond et à juste titre, les intéresse -, je mis en scène et jouai Beckett et Ionesco : plus moderne, à l’époque, tu mourais. Mes camarades me surnommèrent “Brecht” ; peut-être pour sourire de moi. Puis je fus acteur dans des troupes amateurs, puis je créai un groupe cinématographique, réalisai plusieurs films en huit millimètres, on n’avait pas encore inventé le numérique : je savais que je serais un “artiste de la représentation du monde”, j’hésitai entre le cinéma, le théâtre et le roman. Plus tard je ferai théorie de leur ressemblance et de l’intimité de leur fonction.