Contes paradoxaux

Deux anthologies des contes paradoxaux

Merveilles est illustré par Cyrille Delmote

La Femme du Futur et autres contes paradoxaux

MORALE DES PARADOXES

Introduction aux Contes Paradoxaux (cliquez pour lire)

Un chef d’orchestre qui se trouve si heureux à l’hôpital qu’il ne souhaite pas guérir ; un meurtrier sans état-civil, qu’un policier, malgré preuves et aveux, ne peut arrêter, qui doit prendre une avocate pour plaider sa culpabilité, et qui se révèle tant innocent que, tué, il ne peut mourir ni être enterré ; un adolescent qui ne connaît le monde que par des représentations d’opéra, car le monde n’existe plus ; un coureur qui galope tout en demeurant immobile, parce que la ligne d’arrivée se déplace au même rythme que lui ; un enfant érotique qui décide de ne jamais grandir et qui passe sa vie au lit ; un gitan que l’on croit aveugle, à qui l’on décrit un autre monde que celui qu’il voit, et à qui l’on permet de voir Dieu puisqu’il ne devrait pas Le voir ; un théâtre où tous les spectateurs sont des acteurs… Voilà qui ressemble fort à cette fameuse histoire du nègre blanc descendant au grenier enterrer un mort pour le manger vivant : mais il ne s’agit pas de “non-sens”, ou d’“insolite”, ou d’“absurde”. Il s’agit plutôt de “sur-sens”, d’interpréter le monde à l’envers pour mieux le signifier.
Il s’agit de paradoxes : des opinions contraires aux opinions communes. L’exercice du paradoxe fut, dès les premiers temps de la pensée humaine, l’un des outils pour éprouver la raison, la solidité du réel, la vigueur d’une conclusion qui se croirait définitive. Les jeux d’esprit et les mathématiques usèrent de paradoxes – c’est dire combien ils titillent ce qui fait la petite originalité d’un singe réfléchissant sur une planète perdue.
Raconter ce monde autrement que comment il paraît, prétendre éplucher l’oignon des façades pour percevoir ce qu’il y a dessous, a souvent été la tâche d’une poésie et de quelques philosophies. On a pu taxer ces attitudes comme des façons de se dégourdir les méninges entre gens de culture, entre élites qui pensaient, en définitive, que, sur cet univers dont ils brassaient un Idéal ou une Connaissance privilégiée, ils ne pouvaient agir…
Mais, si l’on part de l’hypothèse – je la crois justifiée, la médiatisation contemporaine nous la prouve – que nos récits quotidiens définissent une réalité qui, sans eux, serait un chaos, et surtout la fabriquent, la “créent”, les propositions paradoxales de ces contes redéfinissent et recréent cette réalité en fonction de normes différentes – et doivent produire un effet qui rendrait ce réel réellement différent, tordu. Du moins, doivent nous questionner sur la relativité de nos perceptions, de nos sentiments, de nos raisons, de notre compréhension partielle et éphémère du monde.
Il s’agit donc d’agir sur quelques lieux communs les plus ancrés dans nos manières d’être : par exemple que l’instinct de survie nous pousserait à guérir ; que les meurtriers devraient être punis, les avocats servant à les défendre ; que l’on devrait mourir, et que l’on n’a jamais vu quelqu’un n’y parvenant point ; que c’est parce que le monde existe que l’on pourrait en faire des représentations, des récits ; que lorsque l’on court, forcément on avancerait ; que tout enfant aspirerait à marcher ; que Dieu serait invisible ; que les spectateurs ne joueraient pas… Évidences communément acceptées, ne serait-ce que pour nous permettre un comportement social sympathique, et ne point désoler les biologistes, les psychologues et autres docteurs. Mais, déjà, si nous pensons que les récits définissent et créent le réel, s’écroule le lieu commun d’affirmer que la représentation du monde est une conséquence de l’existence de ce monde : elle en devient la cause. Alors, peuvent s’écrouler les autres lieux communs…